Bamidbar
Chavouot

Notre Paracha s’ouvre sur le commandement de D.ieu de faire un
recensement des Juifs. En fait, à trois reprises, un tel compte fut
entrepris durant les treize premiers mois suivant la sortie d’Egypte.
Quelle est la signification spirituelle d’une telle démarche répétitive et en
quoi ces trois recensements se différenciaient-ils l’un de l’autre ? Enfin quel en est le lien avec
Chavouot qui tombe à proximité de la lecture de cette Paracha ?

La Sidra de Bamidbar a une relation très particulière avec la fête de Chavouot. En général, chaque
Sidra a un lien avec la période au cours de laquelle la lecture en est faite et Bamidbar est
généralement lue le Chabbat qui précède Chavouot. L’on se réfère également à Chavouot comme au
mariage d’Israël à D.ieu. Et le Chabbat qui précède le mariage, le fiancé est appelé à la Torah en
guise de préparation. Ainsi, si l’on peut s’exprimer ainsi, Bamidbar est une préparation pour cette
union particulière entre D.ieu et Son peuple qui eut lieu lorsqu’il reçut la Torah.
Nous trouvons ce lien dès les premiers mots qui ouvrent la Paracha où D.ieu commande : «Compte le
nombre de toute l’assemblée des enfants d’Israël». Il nous faut donc comprendre la véritable nature
de ce recensement.
Rachi commente ainsi ce commandement : «parce qu’ils (les enfants d’Israël) lui sont chers, Il les
compte tout le temps : quand ils sortirent d’Egypte, il les compta ; quand ils péchèrent à cause du
Veau d’or, Il les compta ; quand Il fut sur le point de faire descendre Sa présence parmi eux (dans le
Tabernacle) Il les compta. Car le premier Nissan, le Tabernacle fut érigé et le premier Iyar, Il les
compta».
A première vue, ce commentaire pose problème. Quand on possède des objets qui nous sont
précieux, on les sort souvent pour les compter, comme pour se les réapproprier. Mais D.ieu connaît le
nombre des Enfants d’Israël sans avoir à en faire le recensement. Pourquoi donc l’ordonne-t-Il ?
De plus, pourquoi y eut-il un délai d’un mois entre le troisième recensement et l’événement qui l’avait
suscité (l’érection du Tabernacle) ?
Enfin, quelle différence y a-t-il entre ces trois recensements ? La Torah ne nous dit pas qui entreprit le
premier. Le second le fut par Moché. Mais le troisième fut ordonné à la fois à Moché et Aharon.
Pourquoi ce dernier ne fut-il impliqué qu’ici ?
Essayons de comprendre ce que signifie un recensement. Quand des éléments sont comptés, ils se
trouvent dans un rapport d’égalité. Le plus grand des hommes et le plus petit comptent chacun pour
un, ni plus, ni moins. Et puisque, comme nous le dit Rachi, le recensement constituait une preuve de l’
amour de D.ieu, il devait être un geste dans lequel chaque Juif est égal, non par son intellect ou sa
stature morale mais par son essence : son âme juive. Mais c’est quelque chose que nous ne pouvons
voir de l’extérieur. Ainsi le but du recensement était-il de mettre à jour, de faire jaillir l’essence de
chaque Juif.
Nous pouvons, dès lors, résoudre l’une des difficultés posées par le commentaire de Rachi : il écrit
que D.ieu compte Son peuple tout le temps ; et pourtant, il souligne lui-même qu’ils ne furent comptés
qu’à trois reprises : la première année, (dont une un mois après avoir quitté l’Egypte) et par la suite
seulement une fois encore (trente-huit ans plus tard) durant leur errance dans le désert. Par la suite,
cela n’eut lieu qu’à intervalles irréguliers et peu fréquents (selon le Midrach, neuf fois jusqu’à aujourd’
hui, la dixième devant subvenir avec la venue de Machia’h). On pourrait interpréter les mots de Rachi
comme voulant dire «dans des moments particuliers» et pourtant il utilise précisément : «tout le
temps», implication à laquelle on ne peut échapper. Mais en fait, nous pouvons à présent comprendre
: si le but de compter est de révéler l’essence de chaque âme juive, cette révélation a une profondeur
qui la place au-dessus de l’érosion due au temps, en fait, elle est opérationnelle «tout le temps».
Quand, à des moments de persécutions religieuses, le Juif est forcé à l’idolâtrie (et similairement dans
le cas de chaque transgression, l’on peut dire qu’elle résulte de la persécution du penchant négatif),
une ligne de pensée se trouve ouverte à lui. Il pourrait se dire : «puisque la Techouvah efface tous les
péchés, que mon éloignement du Judaïsme n’est que temporaire et que la voie du retour me sera
toujours ouverte, pourquoi me soucier de cette transgression unique ?»
Et pourtant, nous voyons, à toutes les époques et parmi toutes sortes d’hommes, que des Juifs ont
voulu sacrifié leur vie plutôt que leur foi, même pendant un instant, sans s’arrêter pour réfléchir.
Pourquoi ? Parce que le lien entre D.ieu et l’âme juive est au-delà du temps.
C’est là le sens de : «Il les compte tout le temps» ; l’amour qui s’exprime dans le fait de compter est
plus profond que les vicissitudes du temps et des calculs. Il révèle qu’au plus profond de lui, le Juif est
prêt à son propre sacrifice. Et c’est là la conséquence de l’héritage qui définit le Juif de «tout le
temps».
Nous pouvons désormais comprendre la différence entre les trois recensements mentionnés par
Rachi. Le processus de la Révélation se fit par différentes étapes. D’abord, l’âme juive fut réveillée par
l’amour de D.ieu. Ensuite, elle commença à marquer de son influence la vie extérieure des Juifs et
finalement elle imprégna toutes leurs actions.
Le premier recensement eut lieu lors du départ des Juifs d’Egypte et éveilla leur sens de sacrifice de
soi au point qu’ils suivirent D.ieu dans un désert inconnu et aride. Mais leurs émotions restaient
insensibilisées.
Le second se produisit avant l’érection du Tabernacle. Il toucha plus profondément l’intellect et les
émotions des Juifs parce qu’ils se préparaient à faire descendre la Che’hina (la Présence Divine), en
leur sein. Mais l’élan venait toujours de l’extérieur : c’était le commandement de D.ieu qui les avait mis
au travail et non une aspiration intérieure.
Mais avec le troisième recensement, le service du Tabernacle à proprement dit, eux-mêmes, par leurs
propres actions, apportèrent D.ieu parmi eux. Toutes leurs actions furent alors le témoignage de l’
union de l’âme juive avec D.ieu.
Il est maintenant clair qu’il fallait ce délai d’un mois entre l’achèvement du Tabernacle (en Nissan) et le
troisième recensement (en Iyar). Car Nissan est le mois de Pessa’h, le moment où nous recevons la
Révélation d’En Haut : ce ne fut pas le mérite des Juifs qui leur valut l’Exode d’Egypte mais seules la
miséricorde et la bonté divine. Mais Iyar est le mois du Omer, le mois de sacrifices particuliers et par le
sacrifice nous occasionnons la «révélation qui vient d’en bas», celle qui répond à nos mérites et pas
seulement à la Grâce Divine.
Une explication parallèle nous permet de comprendre la raison de l’implication d’Aharon exclusivement
dans ce recensement. Car Moché était le porte-parole de la Révélation Divine, un lien du haut vers le
bas. Mais Aharon, le Prêtre, était celui qui éleva le peuple d’Israël du bas vers le haut.
Et lors de ce troisième recensement, Israël atteignit enfin l’état où ses propres actions furent
pénétrées de la conscience de l’âme.
Ainsi, le lien entre Bamidbar et Chavouot est clair. Quand la Torah fut donnée, Israël et les Juifs furent
unis de telle sorte que D.ieu envoya Sa révélation d’En Haut et les enfants d’Israël eux-mêmes s’
élevèrent.
Et nous lisons, en préparation à notre annuelle «re-création» de cet événement, la Sidra qui évoque
le troisième recensement où les deux modes de révélations sont liés. Ainsi, en prenant à cœur le sens
du recensement comme geste de l’amour de D.ieu pour Israël, nous pouvons restituer cette union qui
eut lieu à Sinaï lorsque D.ieu prit Son peuple comme épouse de telle sorte que, par la Torah, Israël se
trouva unie à D.ieu.